De nouveaux et très très beaux chais

06/12

France Bordelais

De nouveaux et très, très beaux Chais

Pour une qualité de vins sublimée

Le petit fût de chêne est-il le meilleur destin que puisse connaître un grand vin?
La poussée de nouveaux chais sur les terroirs français le laisse imaginer.

Cuvier du Château Malartic-Lagravière

Au 3e millénaire, les grands crus revisitent leurs chais et font appel à des architectes de renom français de carrure mondiale tels Jean Michel Wilmotte, Jean Nouvel, Christian de Portzampac, ou européens tels Ricardo Bofill, Mario Botta… Les bâtiments créés ont pour la plupart une architecture audacieuse, des outils de haute technologie et un parti pris écologique. Les Bordelais ont initié cette reconversion pour améliorer la qualité du vin, et aussi pour disposer d’un nouvel outil de marketing et communication. Cette quête d’arômes dans le verre, de développement du bouquet, est aujourd’hui une constante dans toutes les régions. Et pour gagner ce surplus de subtilité, de goût, les efforts techniques réalisés par les uns et les autres sont considérables.

Le chai du Château Lafite Rothschild conçu par Ricardo Bofill

Les Pionniers

En 1973, Lafite Rothschild fut le premier à faire appel à un grand architecte, l’Espagnol Ricardo Bofill, pour construire un chai de vieillissement pouvant accueillir 2.200 barriques. Sa forme circulaire à colonnade innovait. Il installait parallèlement une cuverie en inox, en complément des fûts de chêne. Il fut le précur-

seur du chai design! En 2010, ce Premier Grand Cru Classé de Pauillac, recherchant une élaboration encore plus précise, construisit deux cuviers en ciment, constitués de plusieurs dizaines de cuves de petite capacité pour une vinification parcellaire des différents lots de Merlot, ainsi qu’un cuvier divisionnaire dédié à la fermentation malolactique, afin de prolonger cette sélection parcellaire.
En 1991, le Château Branaire Ducru, Premier Grand Cru classé de Saint-Julien, aménageait un des premiers cuviers gravitaires. La topographie du terrain (dénivelé de 5 mètres) s’y prêtait.
La réception vendange était conçue à niveau, le chai et ses cuves situés au sous-sol. L’utilisation de la gravité préserve les raisins, qui ne sont plus blessés par des canali-sations et des pompes, et signe la fin de l’extraction des tanins verts, source d’astringence. «La vinification parcellaire plus ciblée, en multipliant les petites cuves de 60 à 80 hl, donne une meilleure précision aux vins, explique Jean-

Dominique Videau, le chef de cave de ce château, si c’était à refaire, vu la bonne circulation des hommes, des vins, du matériel et des gaz, je ne changerais pas grand chose!».
En 1998 au Château Malartic-Lagravière, Grand Cru Classé de Grave en blanc et en rouge, les époux Bonnie ont construit un chai gravitaire 'révolutionnaire'.
En 2011, au Grand Tasting, Bruno Laplane, époux de Véronique Bonnie, raconte: «Depuis 14 ans, grâce à la vinification gravitaire, nos vins n’ont cessé de s’améliorer qualitativement, ils ont gagné en concentration, en longueur, leur attaque est mieux maîtrisée et leur garde est portée de sept à quinze ans selon les millésimes ».
En ouvrant la voie du design, de l’ergonomie, du gravitaire, du parcellaire et du divisionnaire ces châteaux ont inspiré les nouveaux chais construits ces 5 dernières années.

La cuverie de Cos d’Estournel

Les Chais d’avant-garde

En 2008, Cos d’Estournel, propriété majeure du Médoc, temple dédié au vin tourné vers l’Orient et l’avant-gardisme par son fondateur, inaugurait un nouveau cuvier en verre et acier et un chai souterrain aménagé par Jean-Michel Wilmotte avec modernité et technicité. Bien évidemment Cos d’Estournel utilisait le gravitaire, de la vendange à la mise en bouteilles,
une initiative inédite pour un vignoble d’une telle surface: 91 hectares! Le raisin, amené sur une table de tri par un système de monte cagettes, se déverse sur une table vibrante. Le jus est traité de haut en bas sans pompe ni tuyau.

Le chai de Cos d’Estournel

«Les cuves inox ont deux particularités: une tronconicité à la base de 18%, donc une base plus large que leur sommet, ce qui permet au chapeau de marc de s’étaler naturellement sur toute la surface sans qu’on ait besoin de le casser, et une double paroi qui assure au vin une inertie technique optimale.Les remontages se font avec un délestage gravitaire par des cuves ascenseurs».
Lesquelles permettent aussi de réaliser des assemblages depuis le chai à barriques souterrain et aussi la mise en bouteilles.
«Sur les raisins fragiles, la vinification par gravité naturelle nous a apporté beaucoup en précision», conclut Jean-Guillaume Prats.
Autre château, autre défi, autres techniques: à Faugères, Grand Cru Classé de Saint-Emilion (37 ha), la construction d’un chai sur la commune s’est imposée. A la demande de Silvio Denz, propriétaire, le suisse Mario Botta a bâti en 2009 un chai
cathédrale, culminant à 14,50 m de haut, semi-enterré pour une vinification gravitaire. Les espaces nécessaires à la production du vin sont rassemblés sur trois niveaux. Au rez-de-chaussée se trouvent la réception vendanges et les chambres froides. Au 1er sous-sol une cuverie réunit 46 cuves en bois ainsi que 80 barriques consacrées à la vinification intégrale. Enfin, au 2e sous-sol, un chai d’élevage peut contenir jusqu’à 1.000 barriques en chêne.

Le cuvier de Cheval Blanc

Pour Silvio Denz, la réalisation de ce nouveau bâtiment s’inscrit dans la recherche permanente de la qualité à tous les stades de production. Ici, les toutes dernières technologies sont utilisées: chambre froide pour abaisser à 7-8° la température des grappes à la réception vendanges; déverseur de cagettes automatisé, double tri manuel et optique avant le placement des grains en cuvons pesés électroniquement… L’élevage se fait sans utilisation de tapis ou de pompe. Alain Dourthe, le directeur d’exploitation, donne son point de vue:« Ce chai qui répond au cahier des charges défini par Michel Roland, s’avère un outil de travail gravitaire très performant, respectueux des raisins et améliorant la sélection parcellaire. Sur les trois dernières vendanges 2009-2010-2011, les vins ont conservé leur belle puissance, tout en gagnant élégance et complexité, n’est-ce pas la recette des grands vins?» A suivre…
Plus récent et plus innovant encore, le nouveau chai de Cheval Blanc inauguré en juin 2011. Tel une sculpture, il déploie ses ailes blanches avec grâce et semble flotter entre ciel et mer de vignes. Ce vignoble est classé au patrimoine mondial de l’humanité et entretenu comme un jardin japonais par les équipes d’un Château au savoir-faire historique et talentueux.

A partir des deux cépages Cabernet Franc et Merlot, il produit un vin d’exception, un Premier Grand Cru Classé «A».

Le chai-cathédrale de Mario Botta pour le Château Faugères

Dans cet environnement d’excellence, les deux propriétaires, Bernard Arnault et le Baron Frère, rêvaient d’un ‘chai d’œuvre’.
La réalisation est sans nul doute à la hauteur de leurs aspirations car il ne ressemble à aucun autre. Extérieurement sa structure en béton moulé, si lisse qu’on l’imagi-nerait polie, crée la surprise. Intérieurement jamais chai n’a semblé si zen, si minimaliste.
Là le béton côtoie la dalle de verre épais, la rambarde en inox et le bois brut. Aucun fil, aucun tuyau ne trouble la vue.
Comme l’explique l’architecte Christian de Portzamparc dont la réputation a dépassé nos frontières: «la technologie est traitée pour ce qu’elle est, un ensemble d’outils nécessaires et non ostentatoires».
L’ergonomie de ce chai coule de source. Dans sa cuverie sont alignées 52 cuves amphores en béton pour vinifier les 52 parcelles du domaine. Les murs en moucharabieh facilitent l’aération naturelle. A l’étage en dessous, dans le chai de vieillissement rythmé par une colonnade et des suspensions en tubes (leds), les barriques en bois s’alignent au niveau du sol, sur des rails, en rangs serrés. L’éclairage du bâtiment est mesuré pour éviter les gaspillages. Certifié HQE, cet édifice gère l’énergie, les déchets, le confort des personnes qui y travaillent. En résumé, ce chai concrétise un summum d’élégance pour un vin d’exception. Comme l’explique son attachée de presse Bernadette Visioz, «il y aura un avant et un après Cheval Blanc! …».

Château Cheval Blanc

Les Projets en Cours

Grand Cru Classé de Saint-Emilion - entouré de très belles propriétés dont Cheval Blanc, L’Evangile et la Conseillante - La Dominique va aussi faire œuvre novatrice sur le plan architectural. Son chai, à sortir de terre, dont le début des travaux est prévu en Mars, aura la formed’un vaisseau futuriste fendant la mer de vignes dans le prolongement du château. Il sera habillé de plaques de métal réfléchissant rouge, et créera un effet de miroir inversé inspiré des œuvres de l’artiste Anish Kapoor. Du jamais vu! Pour le construire, son propriétaire, Clément Fayat, un géant du BTP, s’est adressé à Jean Nouvel parce qu’il avait déjà beaucoup travaillé avec lui et que ce maître est une référence dans l’histoire de l’architecture, du meuble, et même de l’art.
Le côté artistique de cet édifice et le nom de Jean Nouvel sont vendeurs, ils sont la cerise sur le gâteau. D’autres vraies raisons ont prévalu au démarrage de ce chantier. Le vignoble étant passé de 17 hectares en 1990, à 24 en 2009 et plus à l’avenir, Yannick Evenou, le directeur, avait naturellement besoin d’une extension de cuverie de 1.800 hl à 3.600 hl. Pour obtenir des vins plus élégants encore, il voulait se mettre techniquement au niveau de ses voisins. D’où la construction d’un cuvier gravitaire avec transfert par tapis roulant des baies en haut des cuves. Les vins contenant plus d’alcool qu’il y a vingt ans, il faut des chambres froides bloquant la fermentation des raisins, avant leur placement dans des cuves isolées pour macération et extraction des arômes de fruits, sans avoir l’effet solvant de l’alcool ni son goût de tanin exacerbé. Les cuves seront de moindre contenance, de 70 à 100 hl, fabriquées en inox à double peau isolée, source d’inertie thermique et de préservation optimum du vin. Pour une bonne gestion parcellaire, chaque lot aura sa propre cuve dont le format correspondra à la capacité de la parcelle. Enfin pour donner de la vie à la propriété, ce nouveau bâtiment offrira une surface de 750m2 dont 300m2 couverts et 450m2 en terrasse avec vue panoramique sur les vignobles alentour de Saint-Emilion et Pomerol, tels Petrus, Figeac, Cheval Blanc…
En partance pour le visiter été 2013 ?
Un autre chai verra le jour cette année à Pauillac, chez le 2e Cru Classé Pichon-Longueville Comtesse de Lalande, sur lequel sa directrice générale, Sylvie Cazes, ne souhaite pas lever le voile, les travaux ne démarrant qu’en mai!