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Géorgie : terre de vigneronnes

24/12/2023

Dans le monde des vignerons, il n’a pas toujours été facile pour les femmes de se faire une place et pour leur vin d’obtenir juste reconnaissance. Il aura fallu des décennies pour qu’aujourd’hui les femmes soient enfin plus visibles et louées dans tous les domaines liés au vin. Qu’en est-il de la Géorgie, ce superbe pays connu pour être le berceau du vin ?
 

Même si le pays souffre d’une culture parfois patriarcale, il sait aussi reconnaître les talents et mérites des femmes sans qui ce pays ne serait rien de ce qu’il est aujourd’hui. L’exemple le plus connu en est peut-être l’histoire de la reine Tamar, fille de George III, qui régna entre 1184 et 1213 et réussi non seulement à transformer les railleries malveillantes de l’aristocratie en une admiration respectueuse, mais aussi à protéger le pays d’une main de fer contre les attaques étrangères et à consolider le royaume. Le respect des Géorgiens à son égard est tel qu’on l’appelle encore aujourd’hui « Tamar, le roi ».

Ce n’est donc pas une surprise que dans les vignes de Géorgie, on trouve aussi de plus en plus de femmes qui portent haut les couleurs du terroir. Partons à la rencontre de quelques-unes de ces fascinantes personnalités qui partagent une énergie sans bornes et un amour du vin sans compromis.


Baia Abuladze, la grande sœur entrepreneuse

Baia’s wine, Imereti
Production moyenne annuelle : 40 000 bouteilles/an
Pourcentage de vente à l’export : autour de 70 %

Chez les Abuladze, comme très souvent en Géorgie, le vin est une histoire de famille. Pour Baia, souriante trentenaire, la relation avec la vigne a commencé très tôt, en aidant ses parents, qui à l’époque disposaient de deux hectares de terres agricoles, dont une partie dédiée à la vigne suffisait à la production de vin pour la famille et les amis. En 2009, Baia et sa famille décident de venir faire goûter leur vin, sorti tout droit de cuves de 20 litres au New Wine Festival à Tbilisi et cette expérience fut une révélation. La solidarité et la bienveillance des autres vignerons ainsi que l’intérêt du public pour les vins d’Imereti leur fit comprendre qu’il était possible de créer des vins de qualité tout en étant une structure de petite taille.
 

Baia Abuladze / ©Aurélien Foucault

Inspirée par l’exemple de Nino Zambakhidze, une grande personnalité de la Georgian Farmers Association à la tête d’une entreprise de production laitière, Baia réalise que les femmes peuvent se tailler une place de choix dans l’agriculture et à l’âge de 22 ans, après des études sans rapport avec le vin, elle décide de se dédier à une production de plus grande ampleur.

Avec l’aide de diverses bourses gouvernementales et internationales, Baia et ses jeunes frères et sœur Giorgi et Gvantsa lancent Baia’s Wine, qui rencontre rapidement un succès autant local qu’international.

La famille Abuladze possède maintenant 15 hectares, dont 12 sont déjà plantés et leurs bouteilles sont distribuées dans une douzaine de pays. Son succès vaudra d’ailleurs à Baia d’entrer dans la fameuse liste de Forbes des 30 entrepreneurs de moins 30 ans. Mais comme Baia aime à le rappeler, c’est avant tout une réussite familiale : sa sœur Gvantsa, aujourd’hui âgée de 28 ans, a d’ailleurs aussi lancé sa ligne de vins rouges et rosés, auxquels toute la famille participe.

 

Nino Chitoshvili / ©Aurélien Foucault

Nino Chitoshvili,
l’indépendante intransigeante

Chito’s Wine, Kakhétie
Production moyenne annuelle :
4 500 bouteilles/an
Pourcentage de vente à l’export : 97 %

Nino (52 ans) est géorgienne mais elle a passé une grande partie de sa vie en Russie, où elle exerçait comme pianiste professionnelle. Une fois revenue en Géorgie, elle commence à travailler comme guide autour du tourisme du vin en 2010 et est happée par la passion du vin naturel aux côtés des pionniers du vin naturel et l’équipe du Gvino Underground et du défunt et regretté légendaire magicien de la vigne : Soliko Tsaishvili, à propos duquel elle ne tarit pas d’éloges. Bien qu’ayant vécu principalement en ville, elle décida d’aller satisfaire ses envies de calme et de nature et partit s’installer à la campagne pour y faire son propre vin, dont les premières bouteilles sortent en 2017.

C’est ainsi que commence l’aventure de “Chito’s gvino” : du vin kakhétien naturel, en qvevri, sans compromis. Dans son village de Marktopi, entourée de son mari Vano et de son cheptel sans cesse grandissant de chiens des rues rescapés, Nino travaille son vin avec une minutie rare, elle en parle comme d’un enfant aimé. La quantité de sa production est de petite taille, mais d’une qualité exceptionnelle. Elle le réserve à 97 % à l’export, car les bouteilles sont un peu chères pour le marché local, mais aussi parce que, selon elle, il saura être plus apprécié à l’étranger.

 

Tamara Bidzinashvili / ©Aurélien Foucault

Tamara Bidzinashvili,
la mixologiste du terroir

Kortavebis Marani / Tamunas Wine, Kakhétie
Production moyenne annuelle : 6 000 bouteilles/an
Pourcentage de vente à l’export : 80 %

Tamara Bidzinashvili (36 ans) dégage une aura de poétesse punk à la Patti Smith, amoureuse de la nature et des mystères de la vie. Alors que son ex-mari travaille chez un gros producteur de vin, elle est rongée par l’envie de monter un domaine de petite taille, bio et en production 100 % naturelle. Son mari ne la suit pas dans son projet, alors elle fait ses valises et décide de s’y jeter corps et âme. Pas tout à fait seule puisque son beau-père, impressionné par sa détermination, décide de se joindre à elle pour lui apprendre les bases et l’aider à réaliser son rêve un peu fou. Car, non seulement elle souhaite faire du vin nature et biodynamique, ce qui était rare à l’époque, mais elle souhaite aussi planter, en Kakhétie, des cépages endémiques aux autres régions de Géorgie. C’est ainsi qu’elle recherche, recueille et plante 35 cépages différents sur ses terres. Sans cesse poussée par sa créativité, elle les assemble, telle une mixologiste, avec un de ses vins combinant justement les 35 cépages en question… Blanc, rouge, rosé, tout y passe !

Une femme seule, citadine, divorcée, qui vient en plus chambouler les codes du vin dans la région, autant dire que les débuts ont été difficiles. Heureusement, encouragée par le réseau naissant de Gvino Underground et notamment par le travail d’autres vigneronnes telles que Marina Kurtanidze et Keto Ninidze, elle s’accroche et ses efforts portent leur fruit. Elle sort ses premières 1 000 bouteilles en 2014 et son talent certain pour l’assemblage séduit vite les importateurs. Le français Thierry Puzelat (Clos du Tue-Boeuf) importe son vin en France et l’invite à participer au festival de la Dive Bouteille, où en plus de rencontrer un beau succès, elle comprend qu’elle vient de trouver sa place dans la grande famille des vignerons du vin nature. Depuis, elle a créé avec des amis le festival ‘Super Natural’ en Géorgie et elle conseille et aide régulièrement les jeunes vignerons, tout en invitant les importateurs étrangers pour qu’ils découvrent les nouveaux producteurs. Ses vins, sous étiquette ‘Kortavebis Marani’ et ‘Tamuna’s Wine’, sont disponibles dans de nombreux pays et son Saperavi, qu’elle a nommé Temo en hommage à son beau-père qui l’a tant aidé, vient d’entrer dans le menu du fameux restaurant NOMA en 2023.
 

Ane Parjiani / ©Aurélien Foucault

Ane Parjiani, la nouvelle génération

Region : Kartli

Employée de cave chez le prestigieux Château Mukhrani, et diplômée vigneronne officielle depuis cette année, la carrière d’Ane (22 ans) ne fait que commencer. Bien qu’issue de famille de Svane (la Svanétie est une des seules régions de Géorgie à ne pas vraiment avoir de vignes), Ane a toujours vu son père produire du vin dans la cave de leur maison à Gldani pour avoir de quoi abreuver les célébrations fréquentes et en offrir aux amis de passage. Toutefois, même si ce vin domestique n’était pas vraiment à son goût, elle s’est toujours sentie attirée par le monde de la vigne, et a eu le déclic après avoir étudié un article sur les femmes vigneronnes en classe de français. Bien qu’elle trouve le travail physiquement très éprouvant, elle s’épanouit dans cette carrière faite de constants imprévus et le travail de la cave lui offre une satisfaction sans pareils. Déjà riche d’une forte expérience auprès du maître vigneron Patrick Honnef et avec une expérience dans des vignobles d’Afrique du Sud, Ane représente une nouvelle génération de vignerons, avec une connaissance académique en plus d’une expérience de terrain, qui bien que citadins ont pleine conscience de l’importance du vin et de la vigne et sont prêts à s’assurer que la Géorgie ne soit pas que le berceau du vin, mais aussi son avenir.

Texte et photos: Aurélien Foucault