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Altura Maxima

01/10
Monde

Monde Argentine





Altura Maxima

Colomé, Argentine. Face au Nevado de Cachi qui culmine à 6380 mètres, le vignoble le plus haut du monde, Altura Maxima – à 3 111 mètres d’altitude - est clos d’un mur de pierres sèches élevé par un Indien vivant là, depuis toujours, sur les flancs de la montagne. Nous sommes au pays des Calchaquis, dans la cordillère des Andes, au nord-ouest de l’Argentine, au fin fond de la province de Salta. Autant dire au milieu de nulle part...

Des paysages à couper le souffle au propre comme au figuré.
L’oxygène se fait rare à ces hauteurs.

Vue depuis la terrasse depuis ma chambre à l’Estancia Colomé.

Depuis Salta qui est à un peu plus de deux heures d’avion de Buenos Aires, il faut compter environ cinq heures de voiture sur des routes improbables, des pistes de sable et de cailloux sur la quasi-totalité du parcours, à travers des paysages désertiques d’une beauté sauvage, pour atteindre la petite ville de Payogasta. Altura Maxima se situe juste en face, à 20 kms, de l’autre côté de la vallée et se fond dans la nature.

Avant même de distinguer les pieds de vigne et leurs incontournables piquets, on est saisi par l’aridité du sol parsemé de pierres, de rares touffes d’alfa, de buissons épineux et de majestueux cardones, ces fameux cactus géants aux formes de candélabres. Et c’est au beau milieu de cette steppe que l’on découvre le clos le plus haut du monde, planté de Pinot noir et de Chardonnay sur 1,5 ha. Mais aussi, à titre expérimental, quelques mètres plus bas, 25 ha de Sauvignon blanc, Malbec, Syrah, Petit Verdot, Tempranillo et Merlot.

C’est en 1999 que Donald Hess, séduit par cette région d’Argentine et par ses Malbec puissants, y acquiert 350 hectares de terre vierge. Après avoir trouvé de l’eau en abondance, il décide d’y implanter un premier vignoble, El Arenal, sur 30 ha à 2600 mètres d’altitude. Malbec en majorité et cabernet-sauvignon sont maintenant en pleine production depuis 2003. Ce qui n’est pas encore le cas des vignes d’Altura Maxima…


Caspar Eugster, responsable de l'infrastructure et de la vigne
d'Altura Maxima,
et Michèle Chantôme devant le vignoble
face au Nevado de Cachi.






L’eau, l’or de la région.

Une gageure

Caspar Eugster vit à 3111 m, une aventure unique. Il est responsable de ce que j’appellerai le projet biodynamico­-­écologico- esthétique du vignoble… Car dans ce coin du bout du monde il faut être auto-suffisant, ne pas abîmer le paysage et planter des pieds de vigne toujours plus haut. Dans ce lieu cultivé depuis des siècles par les paysans indiens qui faisaient pousser de la luzerne pour nourrir leur bétail, on a retrouvé des ruines incas, une acequia notamment, petit canal d’irrigation, qui atteste d’une activité agricole importante à l’époque pré-colombienne. A Altura Maxima, ce même système d’irrigation est repris et amélioré puisque l’eau une fois canalisée vient alimenter une turbine pour produire l’électricité nécessaire au domaine. Des retenues d’eau sont aménagées à flanc de montagne et toutes les infrastructures sont noyées dans le décor. Rien n’est apparent, ce qui permet de sauvegarder la beauté naturelle du paysage. Les cardones sont toujours là et la propriété accueillera prochainement des moutons et des lamas… Bien sûr, pour parvenir à ce résultat, rien n’est simple. Une vraie gageure. Et on est émerveillé par les prouesses techniques réalisées sans dommages pour l’environnement et qui offrent la possibilité d’irriguer la vigne au goutte-à-goutte mais aussi de l’asperger pour lutter contre le gel.

«L’eau, c’est de l’or ici», me confie Caspar; «Il ne pleut pratiquement pas (5 à 12 cm maximum par an) et le thermomètre descend l’hiver à -5° et -10°C la nuit, remonte à 15° ou 20° dans la journée alors que l’été il fait 10° la nuit et plus de 30° le jour».

Et c’est dans ces amplitudes thermiques que réside tout l’intérêt de faire pousser de la vigne à une telle altitude! Les raisins mûrissent plus lentement. L’intensité des rayons UV en très haute altitude influence le développement des pigments, des tanins, des arômes et des polyphénols. L’acidité est également assurée, les vins n’en seront que plus équilibrés. Sans oublier que ces fameux polyphénols que l’on trouve dans les Malbec et Cabernet-Sauvignon cultivés en altitude dans les Andes sont les plus riches du monde, dixit Prof. Corder du William Harvey Research Institute de Londres, qui insiste sur les effets positifs du vin rouge sur le système coronarien. Le French Paradox argentin? Dans le cadre toutefois d’une consommation modérée… on peut ménager son cœur en se faisant plaisir!

On l’a bien compris, Altura Maxima à 3111 m ne donnera des raisins destinés à la vinification que dans deux ou trois ans, car si la vendange de 2007 à 3050 m d’altitude avait été prometteuse, le gel de 2008 et 2009 en avait décidé autrement. Mais, déjà, les autres vignes d’altitude d’El Arenal (2600 m), Colomé (2300 m) et La Brava à Cafayate (1750 m) donnent des vins blancs et rouges qui ont raflé des notes au-dessus de 90 dans le Wine Spectator et chez Parker !




À mi-chemin, à quelque 3 000 mètres d’altitude, mon chauffeur
vérifie l’état des pneus mis à mal
sur ces pistes caillouteuses.

La bodega la plus ancienne d’Argentine

Le secret? Plongeons un peu dans l’histoire car dans cette région, les conquistadors espagnols venus déloger les Incas qui eux-mêmes avaient colonisé les Calchaquis, ont eu, comme dans beaucoup d’autres coins des Amériques, l’excellente idée d’importer des pieds de vigne. En plus des qualités reconnues aux raisins cultivés en altitude, on peut ajouter l’âge de la vigne et un savoir-faire traditionnel. On dit que le chef indien Colomin aurait planté les premiers ceps à la fin du 16ème siècle. Bien sûr, ce ne sont pas les vignes de cette époque qui sont toujours exploitées, mais l’ancienne cave de Colomé a été fondée en 1831, la première en Argentine. Et subsistent encore sur plus de quatre hectares des malbec et cabernet-sauvignon pré-phylloxériques, venus de France et plantés là en 1854. Ces mêmes variétés, entre 60 et 120 ans d’âge recouvrent 7 autres hectares. Cette vigne franche de pied est un trésor qui permet, chaque année de reproduire des ceps qui sont replantés, sans porte-greffe, et renouveler ainsi le vignoble. La famille propriétaire de Colomé jusqu’à son acquisition en 2001 par Donald Hess avait très bien entretenu ses vignes et élaborait déjà un excellent vin de Malbec.


L’ancienne Bodega construite en 1831.

«Ce sont traditionnellement des vins très puissants et parfois un peu rustiques », me dit Thibaut Delmotte, l’oenologue de Colomé, «c’est pourquoi nous utilisons des barriques neuves de chêne français qui nous permettent de gommer les tanins et d’obtenir des vins plus élégants ». A dire vrai, les différents vins que j’ai dégustés m’ont étonnée et séduite par leur équilibre, leur subtilité et leur complexité malgré une concentration certaine et un pourcentage d’alcool élevé, de 13 à 15% !

Les vins d’altitude

Le Torrontès, cépage blanc emblématique d’Argentine – croisement entre le Muscat d’Alexandrie et le Criolla ou mission grape - donne ici toute son expression aromatique, rose et fleur d’oranger. L’ensoleillement, les amplitudes thermiques importantes, le climat sec et une fermentation à basse température (12°) confèrent à ce vin une belle complexité, tout en exaltant le fruit. Pas de passage en barrique qui risquerait d’altérer cette belle fraîcheur.

Amalaya, un assemblage de 70% de Malbec, 20% de Cabernet-Sauvignon, 5% de Tannat et 5% de Syrah, est un nom d’origine Mapuche –les Indiens qui habitaient la région avant les Cachaquis - qui signifie «espoir d’un miracle». Là aussi dans ce vin, on est sur le fruit malgré quelques notes épicées, les arômes sont très concentrés grâce, entre autres, à l’usage de la micro-oxygénation et ne sont pas dominés par le bois malgré un passage en barriques «pas toujours neuves», me confie Thibaut, «mais on a besoin du bois pour assouplir les tanins et faire baisser la couleur». Le Tannat? «C’est mon meilleur blender!» répond-il sans hésiter;«il apporte plus d’acidité que le Malbec, beaucoup de fruit, d’épices. Il rafraîchit le vin».

Thibaut Delmotte, Bourguignon d’origine, a étudié la viticulture et l’œnologie à Beaune, et, après Santenay et Chablis, il a acquis l’art de l’assemblage dans le Bordelais, à Fronsac, Margaux, Pomerol, Pessac-Léognan. En vacances à Salta en 2005, il rejoint Colomé pour la vendange. Il y est resté. Pour lui aussi, c’est une expérience unique, au bout du monde… avec, comme conseil, Randle Johnson, le vinificateur californien de Hess Collection.

Des arômes poivrés

Colomé Reserva 2005, 80% de Malbec et 20% de Cabernet-Sauvignon vendangés dans les vieilles vignes de 100 à 150 ans d’âge. Un vin rare en quantité comme en qualité et qui vous laisse sans mots. Même les superlatifs sont inadaptés…

Un grand vin, tout simplement. Très concentré, complexe, avec des arômes d’épices, de poivre et des saveurs de fruits noirs. Je me demande si les arômes poivrés ne proviennent pas des faux poivriers sauvages qui abondent dans la propriété. D’autant qu’ils fleurissent à la même époque que la vigne... Thibaut poursuit: «Le Malbec est vraiment le roi des cépages en Argentine et il s’exprime ici de façon optimale. Le Cabernet-Sauvignon est, lui, parfois un peu décevant sauf dans ces vieilles vignes».

Colomé Malbec Estate 2007, 85% de Malbec, 7% de Cabernet-Sauvignon et 8% de Tannat est dans la droite ligne de son aîné. C’est le Malbec dans toute sa puissance avec des arômes de mûres, de cassis, d’épices et de poivre. Le Tannat renforce son acidité et le cabernet sa rondeur. Concentration, équilibre, longueur en bouche, ce vin a besoin d’être aéré avant dégustation et montre un bon potentiel de vieillissement.

En règle générale, et pour ne pas contrecarrer l’effet bénéfique de la culture de la vigne en altitude, et qui plus est, en biodynamie, les raisins sont traités tout en délicatesse. La vendange, en mars-avril, se fait entièrement à la main, on érafle, on trie, on presse, on laisse macérer à basse température dans des cuves en inox. Après quatre jours pour les rouges, on augmente la température et on laisse fermenter deux ou trois semaines, avec de fréquentes opérations de remontage, ce qui favorise l’extraction polyphénolique. Après la malolactique, qui s’effectue en cuve ou en fûts, le vin est élevé en barriques de chêne français de Taransaud de quatorze à vingt-quatre mois. Le chêne américain ne convient pas du tout au style de vins recherchés ici.

A droite, Les baies roses des faux poivriers


L’allée qui mène au musée James Turrell
permet de découvrir les divers cépages cultivés à Colomé.











Altura Maxima face au Nevado Cachi.

L’art du vin, l’art de la lumière,
l’art de vivre…

Une autre expérience unique nous attend à Colomé: le musée James Turrell, inauguré en avril 2009, quelques mois avant mon passage. C’est vraiment une découverte sur près de 2000 m2, à vivre intensément. Neuf installations monumentales de ce génie de la lumière dans un bâtiment qu’il a lui-même conçu, vous font entrer dans un monde irréel. Il est difficile, voire impossible de décrire ce que l’on découvre dans ce musée qui n’a rien de traditionnel. Les œuvres sont créées par une délimitation de l’espace par la lumière d’intensité et de couleurs variables. On les traverse et elles nous traversent. Je peux dire qu’on ressort transformé de cette «visite». On est amené à repenser à l’authenticité et à l’apparence des choses, et même sans aller jusqu’à philosopher, pour le moins, on est tenté de relativiser très sérieusement.

Là aussi, le musée est couleur de terre comme les maisons des Indiens des villages avoisinants qui travaillent sur le domaine, que ce soit à la ferme, dans les vignes ou à l’Estancia, un hôtel construit autour de l’ancienne bodega de 1831 dans le plus pur style colonial espagnol version sobre. Une maison de maître de grand confort avec patio, véranda et piscine. Beaux volumes, décoration soignée, touches d’artisanat indien local, bonne table, accueil chaleureux de Gloria… Un endroit où l’on se sent bien. Repas sur la terrasse où trône un majestueux faux poivrier de plus de 150 ans d’âge et d’où l’on surplombe les vignes du même âge. Cuisine locale andine revisitée à base de poissons, viandes et légumes bio de la ferme que l’on accorde avec les vins du domaine. Dans le ciel d’un bleu très pur, un condor passe… On est déjà à 2300 mètres d’altitude. Un magnifique camp de base pour aller explorer Altura Maxima!

Altura Maxima, Bodegas Colomé, fait partie du groupe Hess Family Estates Ltd fondé à Berne, Suisse, en 1844. Son président actuel, Donald Hess, 4ème génération, à la fois visionnaire et charismatique, a fait évoluer son groupe de la bière au vin, en passant par l’eau minérale (Valser). On retrouve dans tous ses domaines viticoles, tant à Glen Carlou (Paarl, Afrique du Sud), que Peter Lehmann Wines Ltd (Barossa Valley, Australie), The Hess Collection Winery (Napa Valley, Californie, USA), Artezin (Napa) et Sequana Vineyards (Russian River, Californie) sa passion des grands vins du Nouveau Monde et de l’art contemporain.

Michèle Chantôme