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Domaine de l’Amandyère

06/13
à la rencontre d’un esthète du vin

Au cœur des Corbières, Stéphane Serrea débuté sa vie de vigneron à 35 ans, avec des convictions, une vraie philosophie et un résultat dans le verre qui fait de lui un producteur différent au sens le plus noble du terme. Un statut qu’il assume avec une passion communicative.

Stéphane Serre

En ce jour de printemps, le ciel semble porter le deuil du mois d’avril qui s’achève. La brume s’accroche au sommet des collines qui cernent le Val de Dagne. Dans les vignes, la terre colle aux semelles. Et dans sa cave aux dimensions d’un laboratoire, Stéphane Serre est déjà concentré sur la vendange à venir. «On ne commencera pas à ramasser avant le 15 octobre», prédit-il.

Il est ainsi fait, ce vigneron des Corbières, bien enraciné dans son terroir, le cœur accroché à l’histoire familiale et l’esprit sans cesse tourné vers l’avenir. Lorsqu’il déroule l’arbre généalogique, il sait qu’en 1613, déjà, l’un de ses aïeux habitait ici et travaillait la terre. «Ce lien étroit avec les Corbières est plus fort que tout. Agriculteurs, vignerons, berger, tonnelier, négociant, voire même boulanger, on a produit, transformé ou toujours œuvré au service de ce sol et de ce qu’il a pu nous donner de meilleur…».

De Jacques Serre, son père, et Elie Raynaud, son grand-père, Stéphane Serre a hérité la passion pour sa terre et l’envie d’en retirer le meilleur tout en la respectant.

Paradoxalement, alors que Jacques, son père, demeurait un acteur très militant du monde coopératif, lui a choisi de prendre de la distance. De la hauteur plutôt: «J’ai suivi une formation de guide de haute montagne. Une première vie professionnelle assez courte puisqu’ensuite je me suis formé aux métiers du commerce et de la communication.»

«La vigne, c’est ma vie»

La suite ressemble au parcours d’un montagnard qui cherche sans cesse la bonne voie. Il tourne autour d’un projet sans arriver à le définir. Stéphane Serre rejoint d’abord l’exploitation familiale, apprend les bases du métier de vigneron, puis revient au commerce en s’attachant à valoriser le meilleur des produits de sa région.

Il est proche aussi de tout remettre en cause en acceptant une offre en Amérique du Sud. Mais le destin est capricieux et le hasard joueur. Convalescent après une grave chute de cheval, il est saisi par une sorte d’inspiration: sa religion sera celle du vin et son crédo celui de la différence! «J’ai simplement compris que la vigne, c’est ma vie.Ce choix, c’est justement la vie qui l’a fait pour moi et quelque chose m’attirait ici alors que, gamin, mon père a tout fait pour me dégoûter de ce métier…».

Sur les parcelles éparpillées qui constituent sur 4 hectares la base de son domaine, L’A­man­dyère, le néo-vigneron n’a pas cessé d’apprendre, depuis son installation en 2007 et son premier millésime, deux ans plus tard. «Je suis un autodidacte du vin, c’est un avantage car je n’ai pas de limites. Par définition, je savais que je ferai ce métier de façon différente parce que c’est aussi une passion. Et comme j’ai la chance d’être sur un terroir fabuleux, l’un des plus beaux du Languedoc-Roussillon, j’ai une totale confiance dans mon projet!»

«Personne ne me prenait au sérieux»

Une confiance pas toujours facile à partager. Avec son père, d’abord, qui l’a regardé faire ses premiers pas avec circonspection. Avec les banquiers, aussi, peu enclins à le soutenir. Sans oublier les amis et les autres vignerons. «Quand j’ai commencé, personne ne me prenait au sérieux. Que ce soit pour la qualité que je visais ou pour la prétention des prix que je voulais imposer dans cette région. Mais moi, j’aime le risque et je ne peux rien faire si je ne sens pas monter l’adrénaline! ».

Non seulement il a impliqué ses proches et ses fournisseurs, mais il a lui-même montré la voie: «J’ai tout donné! Mon temps, mon argent et mon énergie. J’ai tout simplement investi pour l’avenir ». Et certains ont commencé à partager la foi qui l’animait.

«J’ai vendu mes premières bouteilles à des clients anglais alors même que je n’avais pas le vin à leur faire goûter puisque l’élevage dure 24 mois!». Ce premier millésime, 2009, fut un vrai vin de garage. Pas n’importe lequel, celui du grand-père Elie, au cœur du village de Montlaur. A 90 ans, l’homme a encore le regard qui brille lorsqu’il s’agit d’évoquer les grandes manifestations vigneron­nes des années soixante-dix. Il a aussi les papilles d’un connaisseur lorsqu’il goûte le vin du petit.

«On ne parle pas en hectos mais en litres, on ne parle pas en grappes mais en grains!»

Un plaisir rare, et pour cause. En choisissant d’offrir un vin placé sous le signe de l’exceptionnel comme les créateurs de mode font de la haute couture ou bien encore les orfèvres des pièces à chaque fois uniques, Stéphane Serre s’imposait des règles de conduite strictes. «À la vendange, 50 % du raisin restent sur pied parce qu’ils ne correspondent pas à la qualité voulue, et 20 % sont écartés lors du tri final». C’est ainsi que pour l’instant sa production annuelle n’a encore jamais dépassé les 3.000 bouteilles et qu’il s’est fixé pour objectif d’atteindre les 10.000 cols en 2015.
«Chez moi, explique encore cet adepte d’une agriculture très raisonnée et du respect du calendrier lunaire dans chacune des grandes étapes du travail de la vigne puis du vin, on ne parle pas en hectos mais en litres, on ne parle pas en grappes mais en grains. Et un grain, selon la cuvée qui sera sa destination finale, c’est entre 0,70 et 2 €…». Des baies qu’il compare parfois à des grains de caviar ou, plus fort encore, à des pierres précieuses. «Je me considère comme un joaillier du vin qui part de la pierre brute et la transforme en joyau. C’est ce que je réalise avec du vin. Uniquement rouge pour le moment, mais le temps de mener la même aventure avec du blanc viendra bientôt ».

En attendant, il veille sur les saphirs que toute une équipe trie un à un dans la cave. Un espace réduit cerné de cuves rouges qui sont autant de pièces de musées: «Elles ont été utilisées dans le laboratoire de la Chambre d’Agriculture de l’Aude pour réaliser les premiers AOC Corbières. Grâce à mon père, je les ai sauvées de la casse. Tout a été remis en état et avec leur faible capacité, je peux réaliser plus facilement les différentes cuvées qui constituent la carte de visite du domaine ». Mais parallèlement, cet intarissable vigneron a investi dans des équipements de pointe à l’image de cette unité qui produit aussi bien du froid que du chaud et permet de réguler la température de chaque cuve au dixième de degré près.
Créateur de l’habillage si particulier de ses bouteilles, avec le pied de vigne qui constitue le Y de l’Amandyère, Stéphane Serre veut conquérir le monde des consommateurs de vins hors du commun, voire hors du temps. « Ensuite, je dupliquerai ce modèle sur d’autres terroirs du Languedoc-Roussillon qui me passionnent.»

L’esthète du vina de l’ambition et sa propre histoire à écrire.

Jean Bernard
Photos : Ludovic Charles

Vidéo rencontre entre Stéphane Serre et Philippe Faure-Brac

 

www.domainedelamandyere.com