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Les sakés perçus par les sommeliers

27/05/2019

Eric Gottelmann

Les sakés deviennent incontournables sur le marché européen. Les sommeliers en reconnaissent l’intérêt gustatif. Le concours Kura Master a été créé en 2017 sous l’impulsion de Kei Miyagawa et de Xavier Thuizat, tous les deux sommeliers. Il est le premier à faire juger des sakés japonais par des prescripteurs français – sommeliers, chefs, restaurateurs et autres professionnels en saveurs. La prochaine session aura lieu le 27 mai 2019 avec une volonté, donner une visibilité autre à ces sakés sur le sol français. En prévision de cette nouvelle édition, un voyage a été organisé au Japon en janvier 2019 afin de sensibiliser certains chefs sommeliers à ces breuvages parfois méconnus. Cinq d’entre eux ont vécu cette expérience, Xavier Thuizat (L’Hôtel de Crillon, Paris), Eric Gottelmann (Bernard Loiseau), Baptiste Gauthier (Anne Sophie Pic, Valence), Bernard Neveu (Le Bristol, Paris) et Kevin Lemonnier (Ducasse). Nouvelles tendances de cépages de riz, utilisés en monocépage voire en assemblage, localisation autre et prépondérance de l’eau, à l’origine du process du saké à l’instar de la céréale. Plusieurs préfectures ont été visitées afin d’entrapercevoir les caractéristiques de leurs sakés. Chacune recèle de sakés premium. Les sommeliers se sont exprimés sur certains d’entre eux.

A Iwade, à la Kura Kokonoesaika une masterclass organisée autour des sakés réalisés à base de riz omachi a convaincu chacun sur l’intérêt de ce cépage. Deux sakés 100 % omachi, de même terroir mais de taux de polissage différents, ont été testés. Leurs différences ont conforté l’importance du polissage sur les notes gustatives. Xavier Thuizat l’a explicité, l’omachi 50, soit 50 % de grain restant, facilite l’expression du cépage. La puissance, les nuances d’épices fines (poivre blanc, cumin, bois précieux) révèlent un très grand saké. Le omachi 40, soit 60 % de grain restant, voient les caractéristiques de cépage un peu réduites en puissance. Son profil devient plus pur et cristallin mais moins singulier.

Lors d’une dégustation à Hyogo, le Fukuju Junmai Daiginjo Nero (Kobe Shu Shin Kan Kura) s’est distingué. Le nez oscille entre les fruits blancs, la pomme verte délicate. En bouche, l’acidité très élégante s’allie à des notes de naschi, à des fleurs blanches et de la verveine. La texture à peine suggérée tient de la chair des fruits blancs. Le côté salivant parachève la longueur. Ce saké retranscrit une expérience usitée depuis 14 ans, l’usage d’une boîte en plastique isolant le koji. Le moto et le shubo bénéficient d’une nouvelle configuration donnant un goût très pur.
 

Les Omachi (Kura Kokonoesaika).

A Hiroshima, Xavier Thuizat a cité le Ginjo Miyajima de la Kura Miyake. Il mentionne sa typicité avec un style puissant, épicé, traditionnel. Il suggère de le chauffer à 37° et de l’accompagner d’un foie gras chaud avec de l’avocat fermenté et d’une réduction de sauce au raifort. Les épices de ce dernier conforteront celles du saké.

Eric Gottelmann a sélectionné le Shichi Hon Yari (Kura Tomita Shuzo). Il évoque sa robe, or très délicat avec une superbe brillance. Il en décrit les fragrances, entre les agrumes et les fleurs, des notes très délicates de poire. Il retranscrit des accents de lilas, des nuances d’amande. En bouche, il décrit une attaque vive, avec une acidité contenue. En finale, il remarque des saveurs acidulées et épicées. Il le précise, ce saké jouit d’un bel équilibre. Il le servirait à 10°. Il insiste, afin d’optimiser un saké, le choix de la température prime. Avec des degrés trop bas, les subtilités ne seront pas perceptibles. Au-delà de 10°C, les notes très expressives d’épices risquent d’acquérir trop de puissance. Sur le plan pairing, il envisagerait un mets délicat, un Carpaccio de St Jacques avec un trait d’huile et juste une touche de sel et poivre. Il suggère l’épure afin de ne pas saturer la bouche et laisser une libre expression à la richesse du saké. Le léger iodé du crustacé transcenderait l’expression de ce saké et préservera son élégance. Pour lui, le potentiel ‘pairings’ des sakés est supérieur à celui des vins. Les sakés s’accordent avec chaque mets. Certaines associations gustatives, plus recherchées se révèlent exceptionnelles, d’autres plus basiques. Il le rappelle, le saké est un exhausteur de goût. Pour un sommelier, l’intérêt est de créer de nouveaux possibles pour la clientèle.
 

Les sommeliers

Baptiste Gauthier a choisi le Chiebijin Junmaishu, Nakano Shuzo, de la Préfecture d’Oita (Prix Président Kura Master 2018). Il note un nez subtil, floral, avec des fragrances de litchi, d’aubépine, de jasmin. En découvrant la bouche, il l’a trouvé envoûtante, délicate, évoluant sur une acidité fine, équilibrée. La finale longue, agréable, se rehausse de légères notes de poivre. Une amertume très digeste transparaît, donnant une longueur équivalente à 6 caudalies. En pairing, il recommande un Carpaccio de St Jacques, des zestes d’agrumes et un léger coulis fruits de la passion. Il suggère de maîtriser adroitement la température avec 10°C en début de service à amener à 12°C progressivement lors de la dégustation.

Shin Kibayashi, co-auteur avec sa sœur Yuko, du célèbre manga « Les Gouttes de Dieu » est un prescripteur à part entière. Il a donné sa perception du saké Shichi Hon Yari. Il en apprécie l’acidité lui conférant une certaine appétence et un très bel équilibre. Il établit un parallèle avec l’univers du vin. Les notes en bouche par son côté légèrement évolué lui font songer à un Yquem. En version pairing, il songe à un sauté de porc en sauce à la crème, accompagné de citrons confits.

Etre sommelier nécessite une adaptabilité, une appétence à découvrir de nouvelles substances, à savoir leur offrir une place, à table. A voir l’engouement de chacun lors de ce voyage, le saké séduit les sommeliers et les divers prescripteurs. Nul doute, le marché français n’est pas encore mature, les nouvelles expérimentations (riz, eau, notion de terroir) excitent la curiosité de la clientèle. Dégusté pur en version premium ou en cocktail, ces liquides précieux se révèlent incontournables.

Sofia Lafaye

 

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Xavier Thuizat et le gouverneur d'Hiroshima Hidehiko Yuzaki.

INTERVIEW

A Hiroshima, le Gouverneur Hidehiko Yuzaki a donné sa conception de l’export en direction de l’Europe. Il insiste sur la nécessité de qualité Premium avec des sakés de type traditionnels mais également d’autres au profil stylistiquement novateur. Il remarque en parallèle la nécessité d’appliquer une contre-étiquette dans la langue du pays importateur voire en anglais. L’intérêt pour les sakés doit aller de pair avec une initiation accrue.

Interview traduit du japonais par Amandine Jousset