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Gérard Margeon, le "Monsieur vin" de Alain Ducasse

03/08
Jardins secrets du sommelier

Les jardins secrets du sommelier Paris






GÉRARD MARGEON LE "MONSIEUR VIN" DE ALAIN DUCASSE


“Mon plaisir, c’est d’aller chercher des bouteilles
que les vignerons ne veulent pas lâcher”

Cette sentence donne le ton. Nous avons rendez-vous avec un sommelier connu pour son approche audacieuse et novatrice, un brin malicieuse et provocatrice.

Il s’agit d’un homme à la stature imposante qui passerait volontiers pour un trader international dans ce quartier huppé-doré de l’avenue Montaigne, à Paris.


Dernières facéties en date qui lui sont attribuées, une carte “Zéroliège” pour le restaurant Spoon, un grand choix de jéroboams pour l’Adour à New York, des verres spécialement fabriqués en Hongrie et la création d’une carafe inspirée des bouteilles anciennes, "dotée d’un cul profond". Trader, il l’est peut-être puisque, grâce à un réseau international de courtiers, il négocie les bouteilles de vins par centaines de milliers pour les répartir de par le monde, à Hong Kong aussi bien qu’à Londres, en Luberon comme en Toscane.


Au service d’un “mogul” de la gastronomie, approchant 30 années dédiées à Monseigneur le Vin, l’homme en question n’a nulle intention de faire dans la demi-mesure. Car, en plus de bonnes bouteilles d’appellations modestes, il lui faut l’unique, l’inédit, l’exceptionnel, le merveilleux.

À Paris, à Monaco ou à Tokyo, Gérard Margeon, tel est son nom, ne badine jamais avec le jus de la treille. Petite idée : “Ici, au Plaza Athénée, c’est cent pour cent France “, annonce le chef sommelier du groupe Alain Ducasse qui vous reçoit en civil, costume sombre et col roulé assorti, sur le pas de sa cave au sous-sol du très grand palace parisien. Mais ailleurs, dans les 26 établissements qui, de par le monde, font briller le nom de Ducasse, le vin sera à l’image du groupe : international. Sur le tonneau renversé qui lui sert de table dans une cave riche de plus de 40.000 flacons, cave largement ouverte aux visites des clients du palace parisien, ce bourguignon volubile né en 1961 aux Hospices de Beaune pose un flacon pris presque au hasard dans un casier proche de lui. Il le débouche (on imagine sans mal que c’est sa millionième bouteille…) sans trop en dire, à peine de quoi appâter le journaliste quelque peu interloqué d’avoir à goûter, de si bonne heure le matin, en lieu et place d’une interview, un vin blanc aussi minéral que sec et bigrement original par-dessus le marché. “Un vin de volcan”, consent à dire l’interlocuteur qui aime jouer dans l’énigme. Avant de révéler ses sources : “un Santorini, un vin grec que j’adore, issu du cépage assyrtiko et du seul domaine de l’île de Santorin. Je le place sur presque toutes mes cartes tant je considère que c’est un élément éducatif pour mes sommeliers”.

On se dit que ça commence sur les chapeaux de roues… Tout de suite, une question vient à l’esprit. Comment fait ce diable de Gérard Margeon pour goûter le maximum de vins alors qu’il n’a de cesse de voyager ? « C’est vrai, je passe ma vie dans les avions. Comme je voyage surtout sur Air France, je ne refuse jamais l’occasion de goûter les vins sélectionnés par l’ami Olivier (Poussier, ndlr). Mais notez bien que je goûte et que je ne bois pas. Dès le décollage, je me cale à l’heure du pays où je vais ce qui fait que je ne souffre pas trop du “jet lag”. Sinon, je fais attention à ma santé. Ancien coureur de fond, je continue à courir à Central Park, au Bois de Boulogne où ailleurs”.

Une fois qu’il est lancé, dès lors qu’il a accepté de vous consacrer du temps, on ne retient plus Gérard Margeon. De ses débuts au Lycée Hôtelier de Sémur-en-Auxois où il a appris le travail du réceptionniste et d’autres choses bien moins agréables, comme le repassage du linge de table, jusqu’à son premier poste où il a été confronté à la cave “parce qu’en tant que bleu, on me faisait tout transporter”, il accepte volontiers de raconter sa vie. Il n’élude rien et semble aborder tous les sujets à la fois. Mais revient toujours au vin. « Adolescent, j’avais une passion pour le ski. Je continue à fréquenter la station de Tignes au mois d’Août. C’est d’ailleurs là, en Mai 1981, que j’ai rencontré ma femme, Sophie, originaire du Pays Basque et c’est à Biarritz, au démarrage de la thalassothérapie, que j’ai débuté à l’Hôtel Miramar, en bas de l’échelle pour finir Chef Sommelier. Je me souviens que l’on avait des super stars du showbiz pour des séjours diététiques. Ils venaient me voir en douce pour négocier un demi-verre de Jurançon de chez Ramonteu”. Le Jurançon semble être sa première grande découverte en matière de vin. Aujourd’hui encore il y pense, parfois avec une pincée de regrets : “J’aurais aimé rencontrer Yvonne Hegoburu dont les vins du Domaine de Souch m’impressionnent”, lâche-t-il au passage.

Il n’est jamais trop tard… Mais Gérard Margeon a gardé un excellent souvenir des visites qu’il effectuait dans le Bordelais en compagnie du négociant de Langon, Pierre Coste, qui le chaperonnait dans les grands châteaux.

Du bout des lèvres, il reconnaît que le Bourguignon qu’il est reniait, à l’époque, les vins de son pays. « J’étais devenu très Bordelais dans mes goûts. Je m’intéressais à l’économie des grandes propriétés. Nos patrons nous encourageaient à découvrir le vignoble et j’en profitais. Je me souviens d’un de mes premiers gros achats dont j’étais fier : 12 magnums de Haut Marbuzet 1982. Les vignerons du Médoc me disaient à l’époque : “On va faire une grosse récolte en 1982, un très bon vin et beaucoup d’argent. Cela va nous permettre de réparer les toitures et d’acheter des barriques neuves”. Pendant ce temps, le vigneron Bourguignon ne pensait qu’à une chose : s’acheter une Mercedes. Vers le milieu des années 80, j’ai fait un “stage récolte” chez Cordier avec Olivier Poussier. La maison Cordier avait compris qu’un sommelier devait être informé pour vendre du vin.

Au grand dam de son patron, Gérard Margeon, qui souhaitait avoir de l’expérience dans une grande chaîne internationale, quitte le Sud Ouest pour Paris où l’attend une place de Chef Sommelier au nouveau “Méridien Montparnasse”. “C’était génial : je prenais l’avion pour ouvrir le Méridien à San Francisco”. Il rencontre Philippe Faure-Brac pour lequel il intégrera l’équipe de préparation au concours de Meilleur Sommelier du Monde. "J’étais déjà allé trois fois en Californie. Nous partions tous ensemble au ski avec Philippe. On révisait jusque dans les cabines du remonte-pente ! De mon côté, j’étais arrivé en finale du Master of Port, j’avais fait le Concours Paul-Louis Meysonnier et remporté le Concours du Meilleur Jeune Sommelier de France en 1983”.

Un an après la victoire de Philippe Faure-Brac, arrive la rencontre avec Alain Ducasse. “J’étais en plein service du déjeuner, un jeudi d’octobre 1993 et, vers 13 h 45, je reçois du Sud de la France un coup de fil d’Alain que je ne connaissais pas. Il me dit : “Je cherche mon Chef Sommelier et je te rappelle à 15 heures”. Au moment où il me rappelle pour me rencontrer d’urgence, je lui réponds que je ne pouvais pas venir car, en ouvrant mon agenda, j’avais réservé le week-end pour une visite à La Romanée Conti. Là-dessus il me dit : “Ton billet d’avion est parti pour samedi matin et je t’attends”. Dans la foulée j’appelle ma femme qui me dit “À toi de voir”. J’avais 3 enfants et nous étions bien installés à Paris. J’avoue que la perspective de cette nouvelle vie ne la branchait pas trop. Bref, en avril 1994, je me retrouve à Monte Carlo au Louis XV. Je demande alors à Alain Ducasse s’il me prend à l’essai, et pour combien de temps. Il me répond : “De quoi tu me parles. Je n’ai pas de temps à perdre. Ici, tu ne peux pas te tromper”. Une très bonne réponse qui ne suffisait pas à me rassurer car j’avais un poids énorme sur les épaules. J’avais Jean-Pierre Rous avec moi et je devais apporter de la fraîcheur. J’ai su me débrouiller dans la gestion des stocks constitués de 500.000 bouteilles et d’une réserve d’eaux-de-vie de Grande Champagne en foudre que l’on mettait en bouteilles nous-mêmes au fur et à mesure des besoins. Ce fut la plus belle expérience du service en salle que j’ai connue. Nous avions beaucoup de travail et nous devions être mille fois plus minutieux qu’ailleurs. Des membres de l’Opéra de Monaco venaient nous apprendre à marcher dans la salle où il y avait 45 places assises. Aucune erreur n’était possible tant le client était exigeant. Tous les samedis, on goûtait un plat et nous devions travailler les accords avec les gars de la salle”.

Pendant un an, Gérard s’occupera exclusivement du Louis XV. Puis il sera affecté en 1995 à la Bastide de Moustiers en plus d’un contrat avec le restaurant de la maison Hédiard. Il rejoindra Paris en 1996 au moment où Ducasse reprend Robuchon, dans le 16ème arrondissement jusqu’au transfert, en 2000, du Restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée où Gérard est secondé par Laurent Roucayrol. Un an après son arrivée au Plaza, Gérard Margeon pose l’uniforme et, travaillant avec ses propres courtiers, impose sa griffe dans les restaurants du groupe, mais aussi dans le Centre de Formation Alain Ducasse. Face à un nombre impressionnant d’échantillons qu’il doit prendre en compte avec ses collaborateurs, il s’est aménagé un “dégustoire” à l’auberge Aux Lyonnais, en plein cœur de Paris où il goûte des centaines d’échantillons avec de jeunes sommeliers, filles et garçons de toutes les nationalités.

Il précise : “J’ai classé les échantillons en deux groupes : ceux que nous avons demandés expressément et ceux que nous n’avons pas sollicités. Nous répondons toujours à ces derniers de la manière la plus franche et même si notre avis est négatif, mais nous le faisons en prenant garde de ne jamais donner de leçon”.

L’entretien s’achève par une visite de cave. Dans un coffre-fort sont placées debout trois bouteilles millésimées 1911, l’année de la création du Plaza Athénée. On reconnaît un Gruaud Larose, un Léoville Poyferré et un Mouton… Au milieu de tous ces vins, sans compter ceux qui sont achetés mais qui dorment dans les caves des différents domaines les trois flacons passent presque inaperçus. Quant à Gérard Margeon, il est déjà ailleurs. Ou plutôt, il revient chez lui, en Bourgogne. “J’ai la chance d’avoir pour le groupe certainement le plus beau stock de bouteilles signées Henri Jayer. Je les laisse dormir au domaine et j’en fais venir quand je veux”.

Le luxe, n’est-ce pas ?

Michel Smith

Les bons tuyaux du jardin secret
de Gérard Margeon

Son plat Japonais :

Le tonkatsu, un plat à base de porc pané et frit accompagné de chou chinois émincé et de moutarde.

« J’avais un bon restaurant connu pour cette spécialité, rue Sainte-Anne, juste en face de la caserne des Pompiers. Malheureusement je ne retrouve plus son nom. Mais on me parle beaucoup du restaurant Momo No Ki, 68 Passage Choiseul, dans le 2ème arrondissement (Tél. 01 42 96 48 37) qui sert le tonkatsu uniquement à l’heure du déjeuner. Je connais un autre restaurant, le Yasube, au 9 rue Sainte-Anne (Tél. 01 47 03 96 37), réputé pour ses yakitoris (brochettes). D’une manière générale, je suis fou de cuisine japonaise. Quand je suis à Tokyo, je me fais guider par Shibuya, le directeur de salle du Beige. C’est aussi un grand connaisseur en saké ».

Son hôtel préféré :

Le Mirador Kempinski au Mont Pèlerin, près de Montreux (Tél. 41 21 925 11 11). « Sur une hauteur, face au lac de Léman, on a une vue panoramique sur les Alpes. Les chambres sont luxueuses et il y a sur place tout ce qu’il faut pour se refaire une santé » ! Une chose est sûre : les hôtels de petite taille n’ont pas ses faveurs. « Je me sens bien dans les grands halls et je n’arrive pas à me l’expliquer ».

Son Italien :

Il se sentirait presque natif de Turin, lorsqu’il évoque le bonheur qu’il a d’aller goûter la cuisine « spontanée » de son ami Roberto Casavecchia dans son restaurant au décor contemporain Caffe Ristretto, sis aux pieds de l’Hôtel Monna Lisa, au 97 de la rue de La Boétie dans le 8ème arrondissement (Tél. 01 56 43 38 38). « Il a toujours un truc à me faire goûter!».


Ses pâtes :

Il les prépare dans le fameux « Pasta Pot », une casserole en inox mise au point par Alain Ducasse et le designer Patrick Jouin pour la marque Alessi. « Il permet de cuire les pâtes à sec, comme un risotto, en y ajoutant tout ce que l’on veut, de la rouquette, par exemple. Plus besoin de passoire » !





Son lieu de vacances :

Tignes, plus précisément à l’Hôtel du Ski d’Or, au Val Claret (Tél. 04 79 06 51 60) et au cœur de l’Espace Killy. « En plein été, c’est une destination très exotique » !

Le marché qu’il fréquente :

Le marché couvert de Boulogne-Billancourt.

Son produit favori :

Il est fou de tomates. « Cela remonte à bien avant que je rencontre Alain Ducasse. Je les aime nature, à la croque au sel».

Sa ville :
Paris. « J’ai cette chance de ne jamais m’être laissé impressionné par Hong Kong ou Las Vegas. Pour moi, Paris est la plus belle capitale au monde. Mon épouse est du même avis et notre bonheur partagé consiste à flâner dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.

Si un porche est ouvert, j’entre pour admirer l’architecture ».

Son restaurant parisien :

Aux Lyonnais, 32 rue Saint-Marc (Tél. 01 42 96 65 04), le bouchon d’Alain Ducasse. Il aime le décor 1900, le service aimable, la cuisine « bien de chez nous » et les vins du Beaujolais !

Son champagne :

La cuvée élaborée pour Alain Ducasse par Jean-Paul Gandon, le chef de cave de la maison Lanson, tiré à 45.000 exemplaires. « J’apprécie son côté propre, net, droit ».

Ses cépages :
« Je me rapproche de plus en plus de ma Bourgogne et de ce fait je redécouvre le Pinot noir. J’ai aussi un faible pour le Grenache noir qui me semble assez proche de ce que l’on attend d’un vin de nos jours »






Hôtel Plaza Athénée Paris

25 avenue Montaigne

75008 Paris, France

Tel: +33 1 53 67 66 65

Fax: +33 1 53 67 66 66

www.plaza-athenee-paris.fr

Découvrez les restaurants de haute cuisine d'Alain Ducasse :

www.alain-ducasse.com