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La Chine boit rouge !

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France LA CHINE BOIT ROUGE!

A l’occasion de Vinexpo 2011, SommelierS International a préparé la première partie d’un grand dossier sur la Chine et le vin. Ce dossier, réalisé par Florence Varaine et Jean-Marc Koch, paraîtra dans le numéro de fin d’année. Il abordera les domaines suivants: économie, marketing, habitudes de consommation, échanges culturels, investissements chinois dans les propriétés viticoles, complétés par des interviews d’experts, des témoignages et des expériences.

LA CHINE DANS LE TOP 5 DE L’ÉCONOMIE MONDIALE

«Quand la Chine s’éveillera! » titrait en 1973 Alain Peyrefitte pour son roman resté célèbre, reprenant à son compte une citation de Napoléon Bonaparte. En 2011, la Chine s’est réveillée. Elle est entrée dans le Top 5 de l’économie mondiale avec, notamment, trois banques classées dans les cinq premières (N°1: International Commercial Bank of China; N°2: China Construction Bank et en N°5: Agricultural Bank of China). Des résultats à observer aussi dans les BTP, les télécoms, le ferroviaire et de nombreux autres domaines, sans oublier ses acquisitions industrielles récentes et spectaculaires: Volvo, Le Port du Pirée, Addax Petroleum en Suisse ou QZ Minerals en Australie. Cette croissance exponentielle, essentiellement due à l’export, a permis le développement de nombreuses fortunes,qu’il s’agisse de conglomérats ou de fortunes privées. De multiples emplois ont été créés, mais les fantastiques écarts de revenus sont de moins en moins acceptés par le peuple. Le président HU JINTAO, conscient de la situation, prépare le terrain pour son successeur en 2012, en mettant en place un plan quinquennal basé surune hausse des salaires de 15 % par an pendant 3 ans (le salaire moyen devrait progressivement passer de 200 à 400 €), ainsi qu’un train de mesures anti-inflationnistes afin de développer la croissance interne. Cela signifie clairement le développement du plus grand marché mondial actuel pour les 3 à 5 ans à venir.

LES CHINOISES RÊVENT DE VIN ET DE BELLES HISTOIRES D’AMOUR

Les jeunes Chinoises y voient un univers romantique, sophistiqué et exotique. En prime, le vin est perçu comme un produit «bon pour la santé» (depuis le French Paradox) de par son taux d’alcool réduit comparé aux alcools forts bruns ou blancs. Le célèbre producteur de films chinois YBAI ZHANG a accompagné le mouvement en tournant à Bordeaux une comédie romantique «JIANG AI» avec de grandes vedettes chinoises. Le thème: un Chinois, devenu viticulteur dans le Bordelais, retrouve son ancienne maîtresse dans le vignoble. Depuis sa sortie (le jour de la Saint Valentin) le film connaît un gros succès: plus de 7 millions d’entrées.
Il aura forcément une influence sur l’image de Bordeaux et de ses vins. Un autre événement «grand public» significatif fut la seconde édition de «Hong Kong Wine and Dine Festival» une adaptation locale du concept «Bordeaux Fête le vin». 112.000 visiteurs (comparés à 70.000 pour l’édition 2009), une vraie réussite avec 74.000 verres de vins dégustés et 1.500 participants aux stages de formation à la dégustation. Nous reviendrons en détail dans le prochain numéro sur ces aspects «Formation–Initiation à la dégustation» ainsi que sur le développement des salons professionnels, foires et expositions, les circuits de distribution, bars à vins, caves, restauration, grands hôtels.

LES MILLIARDAIRES S’OFFRENT LA VIE DE CHÂTEAU À BORDEAUX

Le premier investissement chinois à Bordeaux remonte à 2008. En janvier, la famille Cheng achète le Château Latour-Laguens situé sur la commune de Saint-Martin-du-Puy : 28 hectares de vignes, 140.000 bouteilles par an. Madame HAIYAN CHENG, présidente du groupe Latour-Laguens International Wine Ltd situé à QINGDAO, déclare vouloir faire de ce Bordeaux AOC «un très grand vin». Les moyens financiers sont là pour refaire toutes les installations viticoles et pour l’accueil des clients. L’équipe dirigée en France par Sophie Roussov est renforcée par Stéphane Toutoundji pour les conseils techniques et œnologiques. Nous les retrouverons en novembre avec un focus sur la propriété et sa stratégie de développement en Chine avec un concept de« Bar-Cave-Restaurant» en gestation.






2011 a vu le rythme des acquisitions progresser. Le Château de Viaud a été vendu par Philippe Raoux (Château d’Arsac et La Winery) au groupe COFCO (Beijing), leader du secteur agro-alimentaire chinois. Le groupe est déjà très présent sur le segment du vin en Chine avec la marque Great Wall (130 millions de cols), 5 vignobles en Chine et un au Chili. Il est aussi très bien placé dans les alcools et s’est associé à Coca Cola China Foods. Philippe Raoux espère créer un courant d’affaires dans les deux sens pour attaquer le marché prometteur - mais très concurrentiel - du milieu de gamme en Chine, et peut-être importer des vins chinois en France. Nous avons pu rencontrer Monsieur Richard SHEN DONGJIUN, président du groupe de luxe TESIRO (120 millions d’€ de CA, 300 boutiques de bijouterie) basé à NANJING. Lors de son passage à Bordeaux en mai, il déclarait «Cette acquisition est le début de ma stratégie. Je compte offrir à mes clients chinois un produit d’exception adapté au marché chinois. Le Château Laulan Ducos (Médoc Cru Bourgeois) sera vendu exclusivement en Chine. Je vais adapter le packaging au marché. Les Chinois ne peuvent pas comprendre tous ces noms de châteaux et d’appellations: c’est trop compliqué». Les investissements seront au rendez-vous pour améliorer le produit et développer une marque de vin de luxe.
Même son de cloche du côté de Christian Delpeuch, ex-président du CIVB et ex-Directeur général de Ginestet. Il connaît bien le marché pour l’avoir travaillé depuis 1995. Aujourd’hui, il conseille notamment le Château Chenu Lafitte - acheté par des Chinois en 2010 -dont le propriétaire, un milliardaire de Dalian, œuvre dans les transports pétroliers, l’immobilier et les parcs de loisirs à thème. «Je pense, dit-il, que la forte croissance du marché va continuer avec des phases de plateau. Les milliardaires chinois sont des collectionneurs de grands vins et en plus des joueurs:
l’achat spéculatif continuera en Chine. Bordeaux bénéficie d’une image exceptionnelle. Pas de soucis pour les grands crus. Le problème reste notre offre de milieu de gamme qui n’est pas adaptée au marché. En plus, nous ne sommes pas structurés à Bordeaux pour traiter des gros volumes et créer des marques concurrentes des marques chinoises, australiennes, américaines ou chiliennes. Il faut se rappeler que les vins importés ne représentent pas plus de 15 % à 20 % de parts de marché».

LA CHINE: UN VRAI BUSINESS DU VIN? OUI, MAIS POUR QUI?

En Mai 2011, le service études du CIVB* nous fournissait des chiffres qui parlent d’eux-mêmes: CHINE + HONG KONG = 1er marché en valeur pour Bordeaux, devant les marchés historiquesque sont les USA, la Grande-Bretagne et la Belgique (cf. tableaux). Rappelons-nous que les marchés européens ont beaucoup souffert depuis 3 ans. Heureusement, les volumes expédiés en l’Asie ont compensé une grande partie de ces pertes. La baisse des droits de douane à Hong Kong a accéléré le mouvement pour les produits les plus chers (les Crus Classés). Il faut cependant garder à l’esprit que les vins importés ne représentent que 20 % des volumes. Dans ces 20 %, le Nouveau Monde est loin devant avec 47 %, la France 26 % (dont 8 % pour Bordeaux), l’Espagne 17 % et l’Italie 7 %. Constat: la Chine consomme à 80 % des vins chinois!
On peut aujourd’hui affirmer que la Chine et les Chinois(es) se mettent progressivement aux vins étrangers, notamment de France et de Bordeaux. L’élargissement de la cible des consommateurs avec l’arrivée de jeunes ayant fait des études en Europe ou aux États-Unis va accélérer ce mouvement, les réseaux sociaux sur le Net aussi. L’accroissement de la classe moyenne et la remontée des salaires risquent de développer la consommation des vins français et bordelais. Mais la concurrence est active. Les Australiens, les Américains, les Espagnols attaquent avec des marques fortes, des offres simples et modernes, des budgets de communication conséquents. Bordeaux jouit aujourd’hui d’une image extrêmement flatteuse: le haut de la pyramide bordelaise séduit les milliardaires et conforte leur statut social,mais jusqu’à quel niveau de prix? Les «petits Bordeaux», compliqués pour les chinois avec toutes ces appellations, classements, millésimes et ces centaines de noms de châteaux rencontreront-ils leur marché? Les Bordelais sauront-ils construire une grosse marque capable de rivaliser avec Mondavi, Gallo , Yellow Tail, Great Wall ou Dynasty?
Les Primeurs 2011, en avril à Bordeaux, ont enregistré une progression de la présence chinoise. Les négociants espèrent encore une grande année. Tout le monde attend la sortie des prix des Primeurs pour voir les réactions. Les chiffres des exportations restent bien orientés vers Hong Kong et la Chine. Pierre Lurton (Yquem et Cheval Blanc) déclarait: «L’effet millésime est indéniable sur ce marché: les bonnes notes de Parker aussi vont avoir une influencesur ce nouveau millésime».
Vinexpo 2011 confirmera-t-il cette tendance et l’intérêt des Chinois pour Bordeaux?
Nous en reparlerons dans le prochain numéro…

Jean-Marc KOCH *Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux